Le Stratège de Sang - Dark Séoul Mafia T2

Le Stratège de Sang - Dark Séoul Mafia T2

Alina Pavlova

Cet homme semble être une contradiction vivante et cela m’intrigue suffisamment pour édulcorer mes rapports de surveillance malgré la menace imminente qu’Igor fait planer sur moi. Il a été plus que clair : cette mission est ma dernière chance de survivre dans la Bratva.

Le goût du sang dans ma bouche est une sensation bien trop familière, mais j’encaisse. Encore et toujours. La décennie passée à obéir et à être la meilleure ne compte plus. Si cela a jamais compté. Mes épaules me font souffrir, douloureusement étirées par la chaîne qui me suspend au plafond. Igor est un professionnel et il a calculé la longueur juste ce qu’il faut pour que la position soit difficile sans devenir impossible. La «séance» ne fait que commencer et je la reconnais pour ce qu’elle est : une punition afin de me faire rentrer dans le rang. Mais, autant j’ai tout fait pour me sortir de l’enfer des caves de Saint-Pétersbourg, autant je ne suis plus prête à y laisser croupir d’autres enfants prisonniers. Je l’ai promis à Marina, et même s’il m’a fallu des années pour tenir mon engagement, je m’y suis accrochée. Jusqu’à aujourd’hui.

— Tu pensais vraiment qu’on allait laisser quelqu’un mettre en péril notre réseau comme ça? crache Igor d’un ton mauvais. Je dois dire que je suis plus que déçu par toi, Alina. Après tout ce que nous avons fait pour toi, c’est comme ça que tu me remercies? En volant nos biens?

Tu parles, la Bratva qui m’a achetée n’a jamais rien fait si ce n’est de me donner les moyens de survivre pour mieux les abattre! Je hais cet homme plus que je ne saurais le dire et rêve chaque nuit depuis douze ans à la bonne manière de le tuer. À force de volonté et d’efforts, je suis parvenue à entrer dans sa sphère de pouvoir au point de pouvoir démanteler certaines de ses opérations à son insu. Cela fait dix-huit mois qu’il tempête contre l’organisation qui soustrait ses marchandises de son réseau destinées aux pédophiles ayant les moyens de s’offrir leurs fantasmes pervers. Il n’a jamais envisagé que ce ne soit qu’une seule personne qui le défie, encore moins une femme.

— Dis-moi pour qui tu travailles!

Cette question posée en boucle est une litanie sans fin : dans son esprit, je ne peux qu’être soumise à quelqu’un d’autre. Il ne me voit que comme une ancienne victime qu’il a fait monter dans la hiérarchie parce que je peux «baiser et tuer en même temps».

— Personne, grincé-je des dents. Tu as tué Marina.

Ce nom l’arrête alors qu’il allait me frapper de nouveau.

— Toute cette histoire, c’est à cause de cette petite pute? Mais elle n’était rien! Tout comme celle pour laquelle tu t’es fait prendre! Regarde!

La gamine que j’ai «sauvée» – mais qui m’a trahie – est tétanisée de peur dans un coin de la pièce. Attrapée violemment par les cheveux, elle se tortille sous la poigne de fer d’Igor qui la traîne jusque devant moi.

— Tu l’as fait sortir de cette chambre de passes, et qu’a-t-elle fait? Elle est revenue aussi sec dans mon giron!

Si elle n’avait fait que ça, je ne m’en voudrais pas autant. Mais elle a mené Igor tout droit sur moi. J’ai vraiment été négligente sur ce coup-là et j’en paie le prix. Normalement chaque opération est minutieusement préparée, mais la vision de cette gamine violée par ces trois hommes m’a fait péter les plombs. Venue pour exécuter mes cibles, je n’ai pas pu abandonner cette enfant traumatisée : elle ressemblait trop à Marina et le passé m’a submergée, me rendant sentimentale et faible. Sur une impulsion, je l’ai emmenée, mais j’ai dû la laisser seule dans une planque, et elle s’est enfuie avant que je puisse l’exfiltrer.

Aujourd’hui, je vais mourir et y suis préparée. Toutefois, je ne veux pas partir sans entraîner Igor avec moi! Cela fait des années que je rumine ma vengeance et je dois tout faire pour l’accomplir. Rentrant dans mon personnage, je me fais séductrice, connaissant par cœur ses goûts. S’il pense pouvoir me baiser avant de m’exécuter, il me libérera de mes chaînes et là… Boje moï[1]! Il est interrompu par un de ses hommes avant qu’il ait ouvert la seconde menotte à mes poignets. Que se passe-t-il?

— Je vais te donner une dernière chance, Alina, déclare-t-il en m’observant de ses yeux de serpent. La situation vient de changer à Séoul…

Le clan Jopok avec lequel la Bratva sur place traite plus ou moins vient de connaître un sacré coup d’État et il veut que je sois sur place pour agir si une opportunité se présente.

— Surveille et à la moindre occasion, tue-le, conclut-il. Si tu échoues, tu ne reviendras pas…

Afin de bien démontrer sa volonté, sa mainmise sur moi, il a égorgé la gamine devant moi. Recouverte de son sang, j’ai accepté : tant que je vis, je peux fomenter son assassinat. Pour Marina. Pour moi. Même si c’est la dernière chose que je fais dans cette chienne de vie!

 

Cela fait maintenant deux mois que j’observe Ren Suzuki d’assez loin pour ne pas me faire repérer par son équipe de protection. Je passe plus de temps sur les toits d’immeuble que dans la rue et regarde sa vie au travers de la lunette de mon fusil : il ne ressemble en rien aux dirigeants mafieux que je connais. À maintes reprises, il aurait dû exécuter des gens, mais il a préféré, à la place, leur laisser le choix de le suivre ou pas. Quand les hommes obéissant à l’ancien leader lui ont prêté allégeance, il les a laissés en poste au lieu de faire une démonstration de nettoyage attendue à n’importe quelle prise de pouvoir. Par ailleurs, dès son ascension à la tête du clan Jopok, il a remanié les activités clandestines gérées jusque-là selon un schéma classique. Il a abandonné le trafic humain faisant concurrence à la Bratva en mettant plutôt l’accent sur le cybercrime. Oh, il y a toujours des réseaux de prostitution – une manne d’argent facile –, mais contrairement aux Russes, il n’y enferme pas des gens – des enfants – contre leur volonté. C’est ce«nettoyage» dès le premier mois de son ascension qui lui a valu un répit de la part de la Bratva. Toutefois, ses velléités sur les contrats d’assassinats et le trafic de drogue font qu’il marche encore sur nos platebandes et expliquent ma présence. S’il devient trop gourmand, je devrai le tuer…

Pourtant, il aurait pu rafler un paquet de fric avec les prostituées qu’il a libérées le mois dernier. Il a proposé à ces femmes de choisir entre deux prisons – les bars ou le port –, mais certaines ne voulaient vraiment plus vendre leurs corps et ont préféré faire «la mule[2]». Quel mafieux se soucie de ses pions? Ce soir, il est même allé plus loin en libérant les gamins exploités par Igor dans cette ville. L’assaut sur le bar principal tenu par la Bratva a été nettoyé avec une efficacité redoutable : ils ont saccagé l’établissement de façon réfléchie à l’avance pour faire le maximum de dommages superficiels en un minimum de temps. Les réserves d’alcool ont toutes été détruites ainsi que les miroirs, les canapés ont été éventrés et plus aucune table ne tient debout. L’opération menée en force par son second a duré exactement dix-neuf minutes et vingt-sept secondes. Ils ont frappé à l’aube alors que la majorité des clients étaient repartis et la garde somnolente, trop sûre de maîtriser le «cheptel» comme aime à l’appeler Igor. L’homme qu’il a élevé à cette position de bras droit est un autre signe que ce Ren Suzuki n’est pas comme les autres : il a retenu les compétences et l’a fait sortir du rang, là où son prédécesseur privilégiait des statuts. Tae-Yang n’est pas issu d’une lignée de jopoks au service du clan et était juste un homme de main quelconque après sa révocation de l’armée. Mais Ren Suzuki a vu en lui un potentiel non exploité et l’a acquis à sa cause. En voyant le résultat, je ne peux qu’admirer la vision stratégique dont il a su faire preuve. Comme il n’y a plus rien à surveiller pour cette nuit, je m’apprête à quitter le toit où je me suis posée.

«Pourquoi n’es-tu pas intervenue?!»

Le message s’affichant sur mon téléphone vibrant furieusement n’est pas une surprise, mais ma réponse si.

«Trop loin pour être vraiment efficace. J’ai préféré ne pas dévoiler ma présence.»

«Tue-le!»

Igor est furieux comme il fallait s’y attendre et le couperet vient de tomber.

«Impossible à distance. Il est trop bien protégé.»

Ce n’est pas tout à fait vrai – personne n’est à l’abri si je le veux vraiment – mais je gagne du temps.

«La soirée de sa société dans deux jours alors. N’échoue pas…»

La branche officielle de la société Jung organise effectivement un gala et j’ai reçu une invitation pour pouvoir l’observer de plus près qu’au travers de la lunette de mon fusil. Jusqu’à maintenant, sa défense est redoutable et je ne pouvais pas l’approcher sans me faire aussitôt repérer. Là, Igor décide que je dois me jeter dans la gueule du loup : il m’envoie sur une mission suicide, trop enragé pour analyser clairement la situation. Ou alors il veut faire d’une pierre deux coups : tuer un rival et me punir en même temps.

«En attendant, fais des dégâts à leur entrepôt Gamma.»

Évidemment, il ne peut pas ne pas contre-attaquer officiellement, même si son véritable coup se fera dans l’ombre. Ce bâtiment est un rouage stratégique pour la Jopok : c’est là que toutes leurs marchandises transitent avant d’être mises en circulation dans leurs réseaux parallèles. Drogues, armes, etc. Tout ce qui se vend et peut rapporter de l’argent. Igor veut frapper fort, là où la sécurité est particulièrement élevée afin de faire passer son message. Je dois me concentrer sur les équipes, car je ne peux pas toucher aux produits stockés : ils ne restent jamais en place plus de quelques heures, le mouvement étant la clef du succès. Les hommes sur place font partie des meilleurs du clan, et si je dois en éliminer suffisamment pour marquer le coup d’ici quarante-huit heures…

Mon temps est plus que limité : le compte à rebours lancé…



[1] Signifie «Mon Dieu» en russe

[2] Terme employé pour désigner des passeurs de drogue.

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