La Necromancienne et le vampire

La Necromancienne et le vampire

Lindsay Ellis

De nos jours.

 Appelée aux aurores, j’ai pris mon service bien avant l’heure sans avoir pu absorber ma dose de caféine, constante incontournable me permettant de fonctionner correctement. C’est sans doute pour ça que je reste bouche bée devant ce que me sort le médecin légiste.

— Tu déconnes ?!

— J’aimerais bien, Lindsay, réplique Lionel Ashwood d’un ton las.

— Mais… on est en avril ! Halloween est encore trop loin pour que tu me serves ce type de baratin !

Parce que ce genre de crimes chelous est en général l’apanage de la période des citrouilles, la fête des Morts étant propice à l’assouvissement de fantasmes plus délirants les uns que les autres. Surtout si on parle d’adeptes de Vampires et autres créatures de légendes, un folklore encore bien présent parmi la population de New London City. Folklore dont les origines remontent à bien avant l’Ultime Cataclysme à la suite duquel nous avons reconstruit notre société actuelle. On pourrait croire que le déferlement de catastrophes naturelles ayant englouti les continents – sauf notre île Celtika – au point de ressembler au Jugement dernier annoncé par les prophètes de tout poil, aurait eu raison de ces croyances alternatives, mais pas du tout ! Un courant de pensée persistant croit dur comme fer que l’Ancien Monde a été détruit par la magie, conséquence d’une guerre meurtrière entre différentes factions supranaturelles. Pour eux, nous aurions été sauvés parce que l’ancienne Irlande était le berceau des Sorciers et des Djinns tandis que la vieille Angleterre était celui des Vampires et des Loups garous. Leur magie aurait fait en sorte de rassembler les deux îles pour préserver leurs habitants de la destruction ayant ravagé le reste du monde.

Un ramassis de conneries qui nous pourrit bien la vie à la Division des Crimes dès lors qu’un meurtre sort un peu de l’ordinaire. Car on voit alors fleurir des théories extravagantes qu’il nous faut ensuite démonter encore et toujours. Non, ce n’est pas un Loup garou qui a dévoré ce randonneur dans la forêt, non ce n’est pas un Djinn qui a puni cet adolescent rebelle, et non, ce n’est pas un Vampire qui s’est nourri de cette femme.

Mais ce matin, si même le médecin légiste s’y met, aucune cafetière n’est assez grande pour m’aider dans ce cas-là !

— J’ai l’impression que les tordus n’en ont rien à faire du calendrier quand leurs pulsions les poussent à tuer, soupire Lionel.

— Donc, tu dis qu’un mec se prenant pour un Vampire a tué cette femme ?

— Je te fais part de mes constatations sur place, corrige-t-il d’un ton prudent. Le corps est exsangue alors qu’il n’y a pas une goutte de sang alentour et que la seule plaie visible est constituée de deux petits trous sur la jugulaire. Par ailleurs, la victime est affublée d’une robe de style victorien et maquillée comme à la mode de l’époque.

Observant à nouveau le corps à mes pieds, je ne peux que convenir qu’il a raison. La femme semble avoir moins de la trentaine, une couche de fond de teint blanc rendu encore plus prononcé par la perte de sang, tandis que sa bouche recouverte d’une teinte rouge vif ressort de façon théâtrale. Elle a aussi un grain de beauté sur un côté de la bouche, une « mouche », signe distinctif de l’aristocratie au XVIIIe siècle. Sa robe à jabot au style typique avec tous ces lacets et cette dentelle noire complète parfaitement le tableau. Sa chevelure, quant à elle, est rassemblée en un chignon sophistiqué mettant en exergue la ligne de son cou gracile, attirant automatiquement l’œil sur les deux petites plaies bien visibles sur sa peau. C’est une mise en scène travaillée avec soin, je dois le reconnaître.

— Après, reprend Lionel, cela pourrait tout aussi bien être l’œuvre d’un sataniste vu la disparition du sang.

C’est vrai également, d’autant que l’année dernière, nous avons arrêté un groupuscule d’adorateurs de la mort ayant trouvé, dans leur religion, le prétexte idéal pour laisser libre cours à leurs fantasmes macabres. Évidemment, comme souvent dans ces cas-là, leurs victimes étaient toujours de jeunes femmes ayant servi de défouloir à leur libido déviante et leur désir de sang afin de soi-disant invoquer un Djinn. C’est quand même malheureux que les cibles de la perversion des hommes soient encore le « sexe faible ».

De nos jours, plus rien ne m’étonne en vérité : les gens deviennent fous en mélangeant la réalité qu’ils veulent fuir avec toutes les théories farfelues lancées par d’autres personnes encore plus frappadingues. Des gens clament avoir la preuve de l’existence de créatures mythiques, et d’autres les croient en relayant encore et toujours des théories de complots voulant cacher la « vérité aux non-initiés ». Rien de neuf sous le soleil, quoi, cataclysme ou pas.

— Si je comprends bien, reprends-je alors que mes neurones veulent bien se réveiller, nous devons trouver la véritable scène de crime ?

— En fait, je n’en sais rien…

Comment ça ? Si cette femme a été vidée de son sang et qu’il n’y en a pas trace à l’endroit où son corps a été retrouvé, c’est bien qu’elle a été tuée ailleurs, non ? Qu’est-ce qu’il me chante, là ?

— Écoute, je n’ai pas bu assez de café avant de venir pour être d’humeur à jouer aux devinettes aussi tôt le matin, dis-je avec aigreur. Alors, explique-toi clairement !

— Cela sera à confirmer avec l’autopsie, mais compte tenu de ce que je peux observer, je dirais qu’elle a été tuée sur place.

Vraiment ? Mais un corps saigné en sectionnant une artère importante ne met qu’une dizaine de minutes à se vider. On est dans une rue passante d’un quartier fréquenté de High London. Cette partie de la ville est huppée et réservée à l’élite de notre société. Alors, comment un meurtre aurait-il pu être commis sans que personne ne le signale aussitôt ? Parce que là, on a été prévenu par le voisinage qu’un corps était « apparu » sur le trottoir aux alentours de 5 h 45 ce matin. Le quadrillage du quartier n’a mené à rien, chaque personne interrogée ayant déclaré qu’elle n’avait rien remarqué de spécial jusqu’à ce que le cadavre surgisse sans pouvoir expliquer comment. Enfin, c’est ce que j’ai compris, mais maintenant je ne pige plus rien.

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