Liam Burke
— Comment ça, elle a disparu ? m’écrié-je en tapant du poing sur le bureau de mon supérieur hiérarchique.
— L’équipe de surveillance l’a perdue au moment où elle allait rentrer à l’hôtel, me renseigne mon interlocuteur sans sourciller. Un camion s’est renversé au croisement et a fichu une pagaille monstrueuse. Cet accident était une bonne diversion pour détourner l’attention des agents sur place, car ils ne l’ont quittée des yeux que trois minutes selon leur rapport. Mais c’était suffisant pour qu’elle monte dans un véhicule et s’éloigne discrètement. Nous ne parvenons pas encore à déterminer comment elle a pu mettre une telle extraction sur pied, mais nous surveillons tous les aéroports et gares, y compris les bus. De toute façon, vous n’avez plus à vous en soucier.
— Bien sûr que si ! déclaré-je avec rancœur. Comment pouvez-vous dire une chose pareille ?
— Parce que cela ne vous regarde plus, agent Burke. Votre mission d’infiltration est terminée au sein de la famille Doyle, avec plus ou moins de succès. Concentrez-vous sur celle que vous devez entamer d’ici quelques jours. Il faut absolument battre le fer pendant qu’il est chaud.
Quand il me vouvoie, c’est pour bien souligner l’aspect formel de ses déclarations : je sais qu’il a raison, car la famille Di Marco ne va pas rester les bras croisés alors que son plus grand rival vient de tomber. Si je veux pouvoir arrêter la tête pensante de cette organisation, je dois continuer de jouer mon rôle. Angelo Di Marco ne comprendrait pas que je ne lui donne pas de nouvelle plus de quelques jours. Pour lui, j’ai trahi Nolann Doyle afin de rentrer dans son cercle : je dois garder l’équilibre précaire entre être à ses yeux l’opportuniste fourbe à abattre et l’atout précieux dans sa manche.
— L’histoire Doyle se tasse, reprend mon chef fort à propos, et Di Marco s’attend à vous voir revenir dans ses rangs d’ici la fin de la semaine au plus tard. L’histoire à lui servir est solide, j’y ai veillé. Tous les rapports de la police et de l’agence concordent pour expliquer votre absence pendant ce laps de temps, mais pas plus. Afin de les mettre enfin hors d’état de nuire, nous devons absolument identifier ses complices au port et vous êtes la seule option viable depuis bien longtemps…
En fait, nous tenons la seule possibilité depuis des lustres de nettoyer Boston d’un important réseau de trafic de drogue : j’ai réussi, à force d’acharnement, à me planter dans le décor de cette famille impénétrable jusque-là. Mon supérieur m’a imposé un blocus vis-à-vis de Sinead depuis l’opération ayant fait tomber sa famille tout en me promettant de garder un œil sur elle.
Si je lâche tout maintenant pour la retrouver, une telle opportunité ne se représentera sans doute jamais. Je sais que mon chef a raison, mais mon cœur saigne à l’idée de laisser Sinead seule sans moi et de devoir laisser sa sécurité entre les mains de quelqu’un d’autre.
En effet, j’ai entretenu ma rage envers son père avec application, a contrario elle a réussi à fissurer le mur derrière lequel je me suis retranché depuis toutes ces années. Et dire que je la vénérais… avant qu’elle ne tombe du piédestal sur lequel je l’avais mise et qu’elle ne fracasse toute ma vie à ce moment-là…