Oracle, Magie & Co T1 Le Complot

Oracle, Magie & Co T1 Le Complot

Chapitre 1

Sybille

Ouf ! Montage vidéo terminé ! Je vais pouvoir aller me coucher après l’avoir mis en ligne sur la chaîne YouTube de notre boutique : Grand-mère s’est surpassée pour les prédictions de la semaine avec son tirage de tarot. Elle a dû être comédienne dans une autre vie tant elle incarne le cliché de la cartomancienne : elle en fait des tonnes, mais ça marche vu qu’on a près de 100 k abonnés qui suivent « L’Oracle Pythie ». J’éteins l’ordinateur quand un grand cri venant de la cuisine me fait me précipiter hors de ma chambre.
— Grand-mère !? Tout va bien ?!
Non seulement elle ne me répond pas, mais la voilà qui parle encore toute seule… Mon aïeule est tellement dans son rôle de « mystique ésotérique » qu’elle a l’habitude de converser à voix haute avec son « guide » nommé Dick Malone, un soi-disant gangster des années 50 de Chicago qui « communique » avec elle d’aussi loin que je me souvienne… Mais là bizarrement, toute pâle et raide, elle « discute » avec Shujin et Bokhor ?
Où est passé Dick ?
— Grand-mère ! Mais que t’arrive-t-il ?
— Dépêche-toi, Sybille ! Viens vite avec moi ! Nous n’avons que très peu de temps !
— Mais… mais où veux-tu aller à 1 h du matin ?!
— Dans la cour de notre immeuble, il est blessé et on doit le cacher !
Confuse, je me précipite à la suite de Grand-mère qui vient de sortir en courant de l’appartement et de dévaler l’étage bien plus vite que son âge canonique de soixante-dix ans ne pourrait le laisser penser. Et là, à moitié dissimulé par les containers des poubelles, gît effectivement un inconnu. Il est évanoui et semble être dans un sale état.
— Ah, ne commence pas, Dick ! Aide-nous plutôt à trouver une solution pour le monter à la maison !
Tiens revoilà Dick, je me disais aussi…
— Sybille, va chercher le chariot pour les livraisons. On va le glisser dessus et le rentrer dans la réserve : ce n’est pas génial, mais c’est le mieux qu’on puisse faire. Après, monte à la salle de bain et rapporte la trousse de secours fissa !
Tout en piquant un sprint vers la boutique, je me demande dans quelle embrouille Grand-mère, qui a le chic pour ça, il faut bien l’avouer, nous embarque encore ! Mais elle ne me laisse pas vraiment le temps de réfléchir vu l’urgence avec laquelle elle veut « qu’on bouge »…
La vache, il pèse un âne mort, le bougre!
Tant bien que mal, nous arrivons à le rentrer et à l’allonger sur un « matelas » de carton. Heureusement que je n’ai pas déjà jeté les emballages démontés de notre dernière livraison cet après-midi ! Il a une vilaine blessure au torse et sur le dos, comme une brûlure au second degré pas belle du tout, sans parler des ecchymoses qui parsèment son corps de la tête aux pieds.
— Je me souviens, Dick, ça va, dit Grand-mère. Je gère. Je vais chercher les baumes et les pierres de guérison.
Bon, je vais surtout rapporter du désinfectant et des bandages, sinon le bougre va mourir avant l’aube, et je ne me vois pas expliquer comment on s’est retrouvés avec un macchabée à la police : « Mais je vous assure, monsieur l’agent, le guide de ma Grand-mère nous a indiqué où trouver cet homme pour le soigner avec des cailloux »… J’imagine tellement la tête du policier qui nous emmènerait tout droit à l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne – mais ce serait toujours mieux qu’une cellule en prison?

Sarah

— Franchement, Dick, tu voulais que je le laisse mourir dans la cour ?
— Et qu’est-ce que ça peut faire un clamsé de plus ou de moins ? Tu vas t’attirer des ennuis : un gars ne se retrouve pas dans cet état parce qu’il a un « petit problème » ! Pourquoi tu as écouté ces fantômes-là ? D’habitude, ils te donnent des messages que tu ne relaies parfois même pas, mais jamais tu n’interviens autrement ? Je suis le seul fantôme que tu dois écouter !!!
Et allez, Dick fait son grand numéro de caïd de la pègre…
— Là, c’était une urgence, je te dis. Ce garçon a un rôle important à jouer dans l’histoire du monde des Mages. Sans lui, leur société va imploser !
— Par le Parrain tout puissant, arrête de croire toutes les sornettes que des esprits zinzins peuvent te raconter ! Des Mages ? Et puis quoi encore ? En plus, s’il peut mourir, c’est qu’il est pas si magique ton bonhomme là, non ?!

Dimitri

Je suis convoqué à l’Atrium – notre QG situé dans un bel immeuble haussmannien du VIè arrondissement de Paris –, pour la rencontre annuelle entre les dirigeants de notre communauté magique, nos trois Magisters d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Et je suis en retard… Ma mission m’a pris plus de temps que prévu, mais j’aurais dû m’en douter avec ces fichus Mages d’Amérique. C’est le seul continent qui n’a plus de leader propre et qui est tombé sous la tutelle de l’Europe il y a vingt ans, mais ça n’empêche pas certains ambitieux de vouloir s’autoproclamer Magister régulièrement. En tant que Premier Electi dans mon escadron, je suis le garant de nos lois et dois les remettre dans le rang fréquemment ! OK, celui-là, je l’ai atomisé tellement il était borné. Mais bon, on ne va pas chipoter sur la syntaxe…
Tykala, notre Magister d’Europe sera contente d’apprendre que l’ordre et le calme sont revenus de l’autre côté de l’Atlantique, et que cette énième tentative de putsch n’aura pas duré plus d’une semaine. Absorbé par mes réflexions peu flatteuses sur ces Mages « Iznogoud » qui veulent devenir Magister à la place du Magister, comme on les surnomme dans mon escadron, je mets quelques secondes, en ouvrant les portes, à comprendre ce qu’il se passe devant moi.
Erick, mon commandant, est debout, avec à ses pieds les corps de Shujin, Magister d’Asie et Bokhor, Magister d’Afrique, affalés sur le sol. Je me précipite et m’agenouille à côté de Shujin. Vu la profondeur de la blessure sur sa gorge, il n’aura pas eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait ni de lancer un sort de guérison : il était mort avant même de toucher la dalle…
— Erick ? Que s’est-il passé ? Tu vas bien ? Où est Tykala ?
Je n’ai pas la possibilité de me relever que mon commandant m’attaque avec une boule de feu qui fait exploser ma poitrine – en tout cas c’est l’impression que ça me donne. M’appuyant sur mes années d’entraînement, je fais fi de la douleur et roule vivement sur le côté pour me mettre provisoirement à l’abri, derrière une des grosses colonnes de marbre qui décorent notre salle d’apparat.
— Erick ? Mais que t’arrive-t-il ?!
Sa réponse d’une voix pleine de jubilation, totalement incongrue dans cette situation, me glace le sang.
— Eh bien Dimitri, je suis heureux que tu sois enfin arrivé ! Toutes ces années à te former et la seule fois où tu es vraiment indispensable, tu es en retard. Tu étais à deux doigts de manquer la fête ! Tsss… Pourtant tu es l’invité spécial de cette rencontre ! Tu as tué Shujin et Bokhor ! Et gloire à moi, qui t’ai abattu avant que tu ne puisses en faire de même avec Tykala !
— Personne ne croira une chose pareille ! Je n’étais même pas présent à cet entretien ! Et pourquoi aurais-je fait ça selon toi ?
— Voyons, Dimitri, personne ne doutera quand je leur raconterai comment tu as attendu que les Magisters soient seuls après leur réunion officielle, et que tu as enfin montré ton vrai visage… Il faut dire que la perfidie est héréditaire dans ta famille, n’est-ce pas ?
Il a raison. Malgré moi, la chape de plomb qui pèse sur mes épaules depuis vingt ans devient encore plus lourde. Mon père, Julius, l’ancien Magister d’Europe, a assassiné traîtreusement celui d’Amérique, Mattheus, il y a deux décennies. Mais il a été arrêté par son meilleur ami, Kyrios, qui a réussi à le blesser suffisamment pour le retenir, le temps que les Electi interviennent. Il n’a jamais expliqué son geste et a été exécuté en jetant l’opprobre sur notre nom.
Âgé de quatre ans à l’époque, je n’ai pas voulu croire à cette histoire, mais Kyrios lui-même me l’a maintes et maintes fois racontée. En souvenir de sa relation avec mon père « avant son coup de folie », il m’a recueilli et élevé alors que tout le monde réclamait également mon élimination pour ne pas risquer une « contamination familiale », étant donné que personne n’a jamais su pourquoi il avait agi comme ça. Depuis vingt ans, je rachète mon nom en me plaçant au service de la communauté des Mages : je suis devenu le meilleur des Electi, et pourtant cela ne suffira pas à me donner le moindre bénéfice du doute. Ils sont tous là à attendre mon faux pas, et Kyrios a essuyé maintes fois des mises en garde le prévenant qu’il allait regretter son geste charitable un jour. Mon cœur saigne plus à cette pensée qu’à cause de l’attaque d’Erick. La seule personne bienveillante envers moi, et à qui je dois ma vie, va être anéantie par ce mensonge. Son « manque de discernement » risque même de lui coûter cher en termes de place au sein de notre communauté. Il pourrait même être désavoué en tant que conseiller de Tykala ! Celle-ci ne me tolère qu’avec l’influence de Kyrios, car c’est grâce à lui qu’elle a réussi à prendre la tête des Mages d’Europe ET d’Amérique en tant qu’héritière de Mattheus. Kyrios a bien manœuvré pour racheter les fautes de mon géniteur, et a mis en place cette solution pour éviter une guerre ouverte entre nos deux continents. Mais je la comprends car si je devais, moi aussi, voir régulièrement le fils de l’assassin de mon père, je saisirais sans doute le moindre prétexte pour me venger. Je ne lui en veux pas vraiment pour ça, mais je souffre pour Kyrios qui ne devrait pas avoir à pâtir de ce complot, après tout ce qu’il a fait pour moi ! Toutes ces pensées s’entrechoquent dans mon crâne, et la conclusion que ma seule possibilité de pouvoir empêcher une telle chose est de m’échapper, pour pouvoir ensuite tenter de prouver mon innocence, s’impose à moi.
Je rassemble alors mes forces et prépare un sort d’isolement. Je n’aurai droit qu’à une seule chance, j’en ai conscience. De ce fait, je calcule dans ma tête : il y a vingt-deux pas jusqu’à la porte et Erick va certainement déclencher une autre attaque dès que je lui montrerai ne serait-ce qu’un centimètre carré de cible… Cela va faire mal…
1, 2, 3 ! Je bondis et cours vers les grandes portes de l’Atrium. Comme anticipé, Erick lance une nouvelle boule de feu redoutable qui me fait tomber à plat sur le sol en détruisant mon dos ! Mais dans ma chute, je réussis à atteindre les portes de l’Atrium que je claque en libérant le sort qui enferme Erick dans la salle.
L’arrogance de ce dernier est son point faible : sous prétexte qu’il est commandant, il se croit le plus fort, mais même s’il est très puissant, j’ai appris il y a bien longtemps à cacher mon potentiel. Car avec mon « hérédité entachée », j’aurais alors présenté un trop gros danger aux yeux de ces Mages mesquins et méfiants à mon égard. Déjà, devenir le Premier des Electi était un risque calculé de ma part. Je suis sans cesse en équilibre très précaire afin d’être, aux yeux de ma communauté, une force sur laquelle s’appuyer et non constituer une menace qu’il faudrait éliminer. Erick m’a balancé une attaque puissante, mais il n’a pas jugé bon d’y mettre toute son énergie d’un coup. C’est sans doute cette erreur qui me permet de me relever tant bien que mal, et de me glisser hors du siège, protégé par un sort d’invisibilité que je lance à la hâte. J’évite les Mages qui accourent, alertés par les coups contre les portes et les cris de rage d’Erick qui emplissent l’étage. Seulement, utiliser autant d’énergie à la suite, alors que mon corps lutte également contre les blessures, finit par avoir raison de moi. Au bord de l’évanouissement, je suis contraint de me cacher derrière des containers de la petite cour dans laquelle je me suis introduit au cours de ma fuite. Je lance, avec mes dernières forces, un sort de guérison contre les brûlures qui sont une vraie torture avant que tout ne devienne noir.
Je reprends conscience sans bouger, en ouvrant à peine les yeux, en entendant des voix… de femmes… Je suis allongé sur le côté, à moitié nu, et couvert d’une espèce de baume pâteux qui sent affreusement fort et mauvais. Où suis-je ? M’ont-ils retrouvé finalement ? Des pas approchent et je me tiens prêt à intervenir même si mon corps proteste au plus léger mouvement.

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