Obsession 3.0

Obsession 3.0

Chapitre 1

Erreur 403, accès refusé

Trinity

De nos jours

 

Virée. Je suis en train de me faire virer! Comme un automate, je rassemble mes quelques effets personnels dans un petit carton avant d’être raccompagnée à la porte par un vigile à la mine fermée. Pourtant, ce même garde-chiourme ne manquait pas de me saluer avec un grand sourire chaque matin depuis quatre ans… cependant tout cela est balayé en une seconde fatidique et la porte claque derrière moi sans un mot. Là, sur le trottoir, comme pour parachever ma déroute, le ciel se déchaîne sur ma tête! Ce n’est plus une giboulée de mars, mais un torrent qui se déverse en quelques secondes, me donnant un air encore plus misérable qu’au moment de mon renvoi. Autant dire que je peux jeter mon carton détrempé : il n’y a plus rien à sauver… comme ma vie en cet instant…

Pourtant, j’avais le sentiment d’avoir plus ou moins réussi à la reprendre en main, et c’était avec une certaine fierté que j’avais décroché ce job. Ayant toujours vécu à Dallas, je ne me voyais pas partir loin de mes repères, j’ai donc vivoté pendant un moment avant de pouvoir reprendre des études afin de «m’en sortir». Cela n’a pas été facile, mais je me suis accrochée à mes cours du soir tout en étant serveuse la journée pendant près de deux ans. Deux ans d’efforts acharnés pour payer mes factures tout en gardant les yeux ouverts alors que je sombrais de fatigue. Enfin, j’ai réussi à m’élever de ma condition sociale de naissance : oubliée la petite fille vivant en mobile home dans la banlieue sud défavorisée ! J’ai alors investi fièrement un petit studio à Lake Highland. Oh, rien de chic comme dans Downtown Dallas, mais un chez-moi me permettant de mesurer mon avancée sociale et, surtout, d’apprécier les sacrifices consentis afin d’y parvenir. De plus, grâce au tramway, cela me prenait moins d’une heure pour rejoindre la banque où je suis parvenue à devenir gestionnaire de clientèle. Une employée modèle, récompensée régulièrement pour ses bons et loyaux services. Après quatre ans, c’est ce qui m’a permis d’emménager dans un deux-pièces le mois dernier, et depuis, j’écumais les petites annonces afin de trouver de quoi le meubler à mon goût tout en respectant mon budget serré. Bref, j’étais optimiste pour l’avenir. Tout à fait le contraire de maintenant.

Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. Pourquoi et comment en suis-je arrivée là? Parce que le choc s’étant quelque peu estompé, je me rends compte que je ne sais toujours pas ce qui a motivé mon licenciement brutal. La semaine dernière encore, mon patron me félicitait pour mon travail accompli et m’a même octroyé un petit bonus. Deux cents dollars avec lesquels je comptais acheter de quoi aménager mon mini balcon. Alors quoi, le week-end se passe et je ne suis plus bonne à rien? Tout ce que je revois, c’est sa mine sévère et clairement désapprobatrice en évoquant «mon comportement inadéquat en rupture totale avec l’image de la société». Qu’a-t-il voulu dire par là? Évidemment, il n’a pas daigné donner plus de détails en réponse à ma pitoyable tentative pour comprendre la nature de ce qui me tombait dessus, se contentant de faire signe au vigile avant de tourner les talons en m’ignorant ouvertement. C’est comme si me regarder était devenu trop pénible pour lui…

— Hey, regardez où vous marchez! m’interpelle méchamment un homme que j’ai heurté avec le coin de mon carton sans y prendre garde.

Cela a le mérite de me ramener à la réalité de ma situation : il faut que je me pose au sec si je ne veux pas, en plus, choper une pneumonie. Tel un rat mouillé, je me dirige vers le café le plus proche en tentant d’ignorer le ploc-ploc de mes chaussures inondées. Avisant une petite table dans un recoin, je m’assieds avec un soupir de soulagement : j’ai besoin d’un grand café avec une bonne dose de crème fouettée. Ce n’est pas dans mes habitudes de m’offrir de telles gourmandises – je gère mon budget rigoureusement –, mais je m’autorise cette exception ce matin : ce qui est, à la base, un symbole de victoire, devient également un réconfort en ce moment de crise. Délestée de huit dollars, j’avale la première gorgée cinq minutes plus tard : malgré tout ce sucre, il a tout de même un arrière-goût amer en bouche…

La sonnerie de mon portable me sort de la petite bulle d’apathie dans laquelle je me suis réfugiée. Scott. Nous habitons le même quartier et avons sympathisé lorsqu’il est venu faire une inspection de mon immeuble à peine quatre jours après mon emménagement. En tant que syndic, il devait faire un contrôle des normes de sécurité, et nous avons discuté autour d’un café pendant qu’il vérifiait les détecteurs de fumée et autres installations. Sous prétexte de gagner du temps, il s’était chargé de mon appartement lui-même pendant que son homme de main œuvrait chez un autre locataire : je sais que je lui ai plu dès que j’ai ouvert la porte et je dois avouer que l’intérêt était réciproque, pour une fois. Aussi, quand il m’a proposé de se revoir autour d’un verre, j’ai accepté. Parce qu’en déménageant, j’ai pris la résolution de chercher l’âme sœur. À vingt-sept ans, il est enfin grand temps. Cependant, je ne voulais pas reproduire le schéma familial. Donc je me suis d’abord concentrée sur mon travail afin de ne pas me retrouver dépendante d’un homme qui m’aurait mise enceinte sans réellement vouloir construire sa vie avec moi. Ma mère m’a eue à quinze ans et j’ai refusé de tomber dans le même cycle infernal. J’ai dû l’aider lorsque mon géniteur nous a laissées tomber, ce qui explique que j’ai abandonné l’école très tôt. De petits boulots en petits boulots, j’ai aidé à nourrir mes petits frères – des jumeaux – alors que la santé de notre mère déclinait : quatre grossesses enchaînées – dont deux fausses couches –, cela laisse des traces. Surtout quand c’est dû au fait que le compagnon veut «remettre ça parce qu’il a des besoins» sans laisser le temps à sa femme de se remettre… Femme qui, en parallèle, s’épuise à faire le ménage dans des hôtels en plus d’élever des petits. Ce n’est qu’après que Kyle et Steve sont entrés dans l’armée – et pas dans un gang heureusement – que j’ai enfin pu m’occuper de moi. M’autoriser à penser et œuvrer pour moi, en fait.

Malheureusement, cette relation naissante n’a pas tenu : il faut dire que cela en refroidirait plus d’un de devoir amener sa dulcinée aux urgences en lieu et place d’un rendez-vous amoureux. Cependant, heureusement qu’il a insisté pour me raccompagner chez moi, même si je l’ai prévenu qu’il ne se passerait rien : mon allergie sévère aurait pu me faire mourir sur place s’il n’avait pas réagi assez vite pour me porter secours. Je suis allergique aux chats qui me déclenchent de violentes crises d’asthme. Bien que je veille soigneusement à ne pas les approcher, il a fallu qu’un spécimen du quartier vienne mourir sur le tapis de ma chambre, sans doute empoisonné par un piège posé pour les rats. J’étais persuadée d’avoir fermé toutes les fenêtres avant de quitter mon appartement – comme toujours –, mais le gardien venu débarrasser l’animal est convaincu du contraire. Toutefois, comme il a eu la gentillesse de faire nettoyer les lieux de fond en comble avant mon retour de l’hôpital, je n’ai pas cherché à avoir gain de cause. Quant à Scott, j’ai eu envie de le revoir pour le remercier de son aide. Il a répondu à mon appel avec enthousiasme jusqu’à ce qu’il comprenne que je ne voulais vraiment pas coucher avec lui, alors que selon lui, «je lui devais bien ça». Cela m’a plus que refroidie, et je me suis contentée de lui répondre que je cherchais une relation stable dans l’objectif de construire une famille. Encore un qui ne cherche qu’une satisfaction éphémère sans se projeter. Cela fait trois semaines qu’on ne se parle plus du tout, alors que veut-il maintenant? Est-ce un réconfort que m’envoie l’univers après cette horrible déconvenue?

— Allô? décroché-je sans grande conviction, mais me sentant obligée tout de même.

— Franchement, j’ai bien failli y croire à tes airs de sainte-nitouche, débite-t-il d’une voix venimeuse qui me glace autant qu’elle me surprend, mais tu ne m’y reprendras plus! J’aurais dû te baiser au lieu de gober ta petite comédie! Tu vas me rembourser tout ce que j’ai payé à l’hôpital, et avec les intérêts!

— Je… quoi? Mais qu’est-ce qu’il te prend?

— Il me prend que je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas te sauter alors que tu fais la pute devant ta webcam! Avec ce que j’ai lâché aux urgences, tu me dois de sacrées séances de baise!

J’en reste sans voix. Que vient-il de dire?

— Ah, tu fais moins l’effarouchée maintenant? crache-t-il en prenant mon silence pour un aveu… de je ne sais quoi.

Choquée par cette attaque à laquelle je ne m’attendais pas, je suis incapable de réagir face à ce déversement d’insanités que je ne comprends vraiment pas.

— En fait, tu ne vaux même pas les cent dollars que tu fais raquer à tes clients, mais crois-moi, tu vas me payer sur ta prochaine facture, lance-t-il d’une voix venimeuse avant de me raccrocher au nez.

Interloquée, je ne peux que fixer l’appareil muet, l’esprit en déroute. Pute? Webcam? Mais de quoi parlait-il? Dieu sait que je n’ai jamais été portée sur la bagatelle : compte tenu de l’histoire de ma mère, je me suis tenue éloignée des garçons bien plus souvent qu’à mon tour. Hormis un petit ami à seize ans – qui n’a tenu que le temps qu’il obtienne ce qu’il voulait – je n’ai jamais fait grand cas de la gent masculine, même si cette dernière s’intéressait à moi. Combien de propositions graveleuses ai-je refusées? Trop pour les compter ou même m’en souvenir. Alors m’accuser de… Cela aurait pu être une solution de facilité pour mettre de quoi manger sur la table, mais c’est une voie que je n’ai jamais voulu envisager. Ni ma mère non plus d’ailleurs. Je suis peut-être d’une famille modeste, mon environnement – et surtout mon éducation – m’a fait prendre la mesure de devoir se respecter soi-même : parce que les autres ne le feront pas pour vous. Si elle n’était pas tombée amoureuse d’un gredin, ma mère ne serait pas devenue une adolescente avec trois enfants. Alors que je retourne les propos de Scott pour leur trouver du sens, il m’envoie un SMS.

«Ose nier, salope!»

Il a joint un lien internet sur lequel je clique avec une boule au ventre : pressentiment quand tu nous tiens… OH. MON. DIEU!!! Horrifiée, je tombe sur un site d’escort-girls dont l’une est… moi! Et déguisée en Bunny de Play-boy! Le profil promet «tous les plaisirs sans tabou». En cliquant sur la fiche de cette femme me ressemblant comme deux gouttes d’eau, je lis le «menu» proposé : le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est… complet! Ce n’est pas possible, je n’ai jamais fait un truc pareil! Pourtant, ce visage fin, ces lèvres bien dessinées, ces grands yeux noisette et ces boucles folles châtaines… Même la silhouette en sablier – accentuée par un corset sexy – semble être moi… Je sais que cela ne peut être moi sur ces photos provocantes, mais force est de constater que la jeune femme se livrant à la vue de tous en échange d’argent me ressemble en tous points…

Tout à coup, une pensée monstrueuse me vient en tête : est-ce à ça que mon patron faisait allusion lorsqu’il m’a virée?!

Mon Dieu, je vais mourir de honte!

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