Licorne, Merlin & Cie - spin off d'Oracle, Magie & Co

Licorne, Merlin & Cie - spin off d'Oracle, Magie & Co

Prologue

 An 525 apr. J.-C. – Tipperary[1] en Irlande — Salle du trône des Fées

L’assemblée est muette de stupeur et figée d’horreur alors que la voix de sa nouvelle Reine d’Été s’éteint. Seul le silence sidéré répond à sa déclaration extraordinaire car jamais un tel évènement ne s’était produit auparavant.
La précédente Reine d’Hiver s’est enfuie en ne laissant que le mot succinct qui vient d’être lu et jamais personne n’avait envisagé un scénario pareil. Parce que le rôle de Reine des Fées est non seulement un honneur immense, mais surtout un poste vital pour l’équilibre de la Nature.
Que va-t-il désormais se passer pour la cour rassemblée? La nouvelle Reine d’Été qui vient de monter sur le trône est-elle seulement légitime? Car tant que la précédente est vivante bien qu’elle ait abdiqué, la seconde n’est pas dépositaire du pouvoir de la Nature le pouvoir de l’une n’ayant pas été transféré à l’autre. Cette solution intermédiaire et inédite est-elle donc vraiment viable? De mémoire de fées, rien ne permet de projeter quoi que ce soit avec cette hypothèse.
Les murmures inquiets bruissent dans toute la salle, amplifiés par l’immense voûte en pierre, mais personne n’ose réellement s’élever contre la décision d’Aliénor. Car avant d’être le nouveau symbole de la royauté, celle-ci était la cheffe de l’escadron des Boudicca[2], les guerrières de leur peuple. D’ailleurs, cette dernière ordonne la traque et la mise à mort de l’ancienne Reine pour haute trahison envers sa communauté et la Nature. Le motif? Aucune fée ne peut se lier avec un homme, quel qu’il soit, en dehors de l’accouplement réglementaire annuel programmé pour perpétuer l’espèce. Or, la précédente Reine d’Hiver a abandonné sa charge pour un Druide. C’est l’excuse hérétique qu’elle a utilisée pour tenter de justifier son geste inacceptable.
— Cette infamie ne peut être tolérée! clame Aliénor dont la voix rageuse se répercute sur les voûtes du fort aussi brutalement qu’un grondement de tonnerre avant l’éclair. En attendant que l’énergie de la traîtresse me revienne, toutes les fées d’Hiver ici présentes sont tenues de me fournir leur pouvoir avant d’être bannies.
Maeven, seconde Fée d’Hiver après l’ancienne Reine, proteste sur l’injustice de cette décision avec véhémence car la cour ne saurait se passer de l’équilibre des fluides d’Été et d’Hiver.
— C’est impensable, conclut-elle avec force. Le cours de la Nature s’en trouverait bouleversé!
— L’équilibre sera préservé, rétorque la nouvelle monarque avec un sourire mauvais, car j’aurai le pouvoir de l’hiver en plus de celui d’été. C’est votre Reine qui nous a mises dans cette situation, ce n’est donc que justice que vous répariez son manquement. En abandonnant son devoir, elle vous a toutes condamnées par la même occasion. On ne peut pas prendre le risque qu’un tel évènement se reproduise et il est de ma responsabilité de faire en sorte que cela n’arrive plus jamais. C’est pourquoi désormais, le trône reviendra à une fée d’Été à qui je transmettrai le pouvoir d’Hiver reçu, le moment venu. Quant à ta protestation, j’en prends bonne note, mais…
Sur un signe d’Alénior, une Boudicca derrière son trône, bande prestement son arc et transperce le cœur de l’impudente d’une flèche en fer! Descendant alors lentement les marches, elle prend son temps afin que toutes voient bien le supplice de celle qui a osé contrarier sa Reine. Cassant avec précision les côtes de la femme effondrée au sol, elle sort le cœur encore palpitant de sa cavité. Le levant bien haut à bout de bras afin que toutes puissent bien voir son geste, elle s’incline devant l’estrade au pied du trône pour l’offrir à celle qui est la seule dirigeante de leur peuple à ses yeux. Cette dernière s’empresse d’aspirer avec avidité l’essence vitale de ce sacrifice avant qu’elle ne retourne à la Nature. Cela fait, un voile de givre l’enveloppe tandis qu’elle se dresse pour renouveler son décret avec force.
— Ou, comme vous pouvez le constater, vous pouvez tout simplement mourir, annonce-t-elle avec un sourire mauvais. Soit vous me donnez volontairement vos pouvoirs, soit je les obtiendrai à votre mort.
Encore sous le coup de la stupeur de cet acte aussi violent que soudain, la centaine de fées d’Hiver finissent par se mettre à genoux, la tête basse. Petit à petit, chacune lance le charme de transfert pour ne pas subir le même sort que leur congénère, abattue par la portée du crime de leur ancienne Reine sur leur communauté. Car elles réalisent aussi à cet instant que l’hiver long et rude qui perdure depuis près d’un an est certainement le résultat de la négligence de leur précédente dirigeante. Celle-ci, plus occupée à roucouler avec son Druide, en a délaissé son devoir de veiller sur l’équilibre des saisons et la régénération de la Nature. Maeven, sa seconde, a tout fait pour écarter ses rivales et être la seule conseillère de la Reine. Ce faisant, elle a cautionné le comportement irresponsable de leur souveraine pour mieux asseoir sa propre position à la cour. Pourtant, aucune d’elles n’est intervenue pour leur rappeler leurs manquements : quelque part, elles les ont toutes laissées faire et doivent aussi assumer leur part de responsabilité dans cette situation…
Pleines de rancœur face à cette trahison qu’elles ont cautionnée sans vraiment le réaliser, elles se dirigent toutes lentement vers la sortie sans un mot, abattues par l’énormité de cet évènement et sous le regard méprisant des fées d’Été. Soudain, des cris retentissent dans le groupe et une bousculade ondule telle une lame de fond. Les Boudicca ont attendu le signal de leur Reine pour tirer leurs flèches dans le dos des fées condamnées qui tombent comme des mouches sous cette pluie de fer.
— Jetez leurs corps à la mer, ordonne Aliénor ivre du pouvoir qu’elle vient de recevoir. Par leur trahison, même passive, elles ne méritent pas de retourner à la terre mère. Demain, lors de la pleine lune, je ferai à nouveau régner l’été sur la planète. Ce sera notre avènement. Et le monde oubliera que l’hiver a un jour existé!

Siobhan—Fée d’Hiver

La nouvelle Reine n’a pas tardé à montrer son vrai visage, celui d’une folle ambition. Elle a toujours voulu régner et piaffait d’impatience de devoir attendre son tour. Évidemment, elle ne pouvait pas rater cette opportunité lui permettant de s’emparer du trône des décennies à l’avance. De plus, elle s’assure la loyauté de sa cour d’Été avec cette promesse insensée sur la future passation de pouvoir : chaque fée de son côté va tout faire pour être la future héritière.
Je ne peux que m’incliner devant elle et subir son joug, tout comme mes compagnes. Mais je retiens une partie de mon pouvoir car il est hors de question d’être livrée au monde humain sans défense. La position des femmes y est encore moins bonne que celle d’un chien galeux! J’ai une fille à protéger en mon sein, même si son étincelle vient à peine de s’allumer en moi. Avec l’afflux d’énergie féerique échangé par nous toutes, personne ne devrait s’apercevoir que j’en conserve un peu, le partageant avec mon fœtus pour le cacher.
Étant restée dans le fond de la salle lors de la convocation, je suis finalement la première à la porte, tant je suis pressée de m’éloigner de cette atmosphère pesante pour retrouver l’air vivifiant de la mer que notre fort surplombe. Enfin, le fort des fées d’Été et non plus le mien désormais, ne puis-je m’empêcher de penser avec amertume.
Toutefois, à peine ai-je posé la main sur la poignée qu’une forte poussée dans mon dos me fait pivoter, trébucher et m’écraser contre le lourd battant de bois qui s’ouvre d’un seul coup sous l’impact. Je m’écroule au sol tandis qu’une douleur aussi aiguë que vive me transperce. Je réalise alors que ce n’est pas ma chute qui me cause cette douleur insupportable, mais une flèche! Qui, si je n’avais pas dévié ma route au dernier moment, m’aurait atteint directement dans un poumon, alors que je ne suis atteinte que sur une côte.
Aliénor peut bien nous qualifier de traîtresses, mais elle en est une également, et non des moindres. Elle a osé nous tirer dans le dos sans sommation! Indignée par cet acte répugnant, je lutte contre la souffrance en serrant les dents afin de me glisser subrepticement sur le côté de la porte ouverte et me mettre hors de vue de la salle. Adossée au mur en pierre et cachée par le vantail de bois de la porte, je retire péniblement la pointe de fer maudit de ma côte tout en louant la Nature de ne pas avoir été touchée à un point vital, à l’instar de mes consœurs. J’entends les Boudicca, sûres de leur victoire, prendre leur temps pour achever mes compagnes…
Même s’il me reste un peu de pouvoir, je ne peux rien faire pour elles. Le cœur lourd de culpabilité de les abandonner à leur triste sort, je me résous à me concentrer sur ma fille, car elle, je peux peut-être la sauver. Rassemblant le peu d’énergie que j’arrive à invoquer, je m’enveloppe d’une bulle de voyage avant d’être découverte. C’est in extremis car j’entends des pas se rapprocher de moi juste au moment où je m’échappe. Malheureusement, je ne vais pas plus loin que l’orée de la forêt entourant le fort. Être sortie du bâtiment est une première étape cruciale, mais insuffisante si je veux espérer en réchapper.
Reprenant mon souffle comme je le peux, je me force à parcourir les quelques mètres qui me séparent d’un chêne centenaire pour me hisser dans son feuillage qui est ma seule chance de survie. Car j’ai aperçu une boule de gui. Pour soigner ma blessure faite par le fer, seul le gui de chêne, très rare, peut me sauver. Si j’arrive à colmater la plaie, j’aurai une petite chance de récupérer des forces pour survivre à l’ire de cette Reine cruelle. Car je ne saurais désormais la reconnaître comme mienne. Pas après son geste ignoble!
Demain, elle sera forcément au cercle des dolmens sacrés, ce qui sera ma seule chance de pouvoir quitter l’Irlande pour l’Angleterre. Pour que ma fille puisse vivre! Pour perpétuer le cycle de l’hiver qui est indispensable à la Nature, contrairement à ce qu’Aliénor veut faire croire. Et en tant que dernière représentante de la cour d’Hiver, je ne me soustrairai pas à mon devoir.
C’est sur ce vœu pieu, après avoir placé hâtivement un emplâtre de gui sur ma plaie sanguinolente que je perds connaissance, m’abandonnant à l’énergie des arbres, du vent et de la pluie qui s’est abattue soudainement comme pour manifester le chagrin de la Nature face à cette infamie. Je suis enveloppée par la terre, l’air et l’eau. Et le feu de ma colère brûle dans mon cœur!
Les éléments de la vie sont tous réunis : une coïncidence ou pour me protéger?
Je préfère croire en Dame Nature que je remercie avant de m’évanouir.

Chapitre 1

Sélène (aka Barbie)

De nos jours – Domaine des Magnolias – Louisiane.

Comme tous les matins, je regarde le soleil se lever sur le bayou depuis la terrasse sur pilotis de notre petite maison en bois au bord du fleuve. Le spectacle de l’iridescence des rayons sur l’eau est de toute beauté, et je ne m’en lasse pas. Jarod, mon mari, me rejoint et m’enlace doucement en me serrant contre son torse.
— Tu sais que dans une semaine, cela fera un an que nous nous sommes rencontrés ? murmure-t-il à mon oreille de sa voix rauque et chaude. Si tu m’avais dit qu’en poussant la porte de votre boutique ésotérique à Paris, je me retrouverais avec toi à côté de La Nouvelle-Orléans, je ne t’aurais jamais crue.
— D’abord, si quelqu’un avait pu te prédire quelque chose, cela aurait été Grand-Mère vu que c’était elle la médium à l’époque. Et d’une certaine façon, elle l’a fait quand elle m’a demandé de t’impliquer dans tout le bordel magique avec lequel on devait se dépatouiller.
— Et puis de toute façon, je suis ta flamme jumelle, alors nous nous serions trouvés d’une manière ou d’une autre si j’ai bien compris, conclut-il en m’effleurant le cou de ses lèvres gourmandes.
C’est vrai. Avant, je n’avais pas vraiment idée qu’un monde surnaturel caché existait réellement.
Mais ça, c’était avant.
Maintenant, ma famille de cœur comporte une médium, un Mage, un fantôme – normalement deux mais le premier je ne veux même pas en entendre parler – et mon mari qui est humain, mais avec un sang très spécial qui peut annuler toute forme de magie.
Ah, et deux Licornes aussi.
Qui sont apparues juste après notre mariage dans le parc du domaine où nous nous sommes installés après toute cette histoire avec les Mages. « Le réveil des forces ancestrales », comme l’ont prédit Grand-Mère et ma SBFF[3], Sybille, au travers de leurs tirages de tarot. Mais sauf qu’elles sont là désormais et que c’est pour ma pomme, on en sait pas plus sur elles.
Bien évidemment, l’Univers n’a pas pensé à donner le mode d’emploi qui va avec, pfff… Même si je ne le reconnaîtrai jamais ouvertement, Dick, le fantôme mafieux lié à ma sœur, a raison : « Ils servent à rien ces fichus canassons ». Parce qu’à part manger et dormir, cela fait des mois que je ne parviens pas à comprendre ce qu’elles font là ni ce qu’elles veulent. Quand elles apparaissent, je suis la seule à pouvoir les approcher pour leur donner leur ration de carottes quotidienne à 11 h00 précises, mais pour le reste… Aussitôt qu’elles ont fini de manger, elles repartent se planquer on ne sait où jusqu’au lendemain.
— J’aimerais que pour notre anniversaire nous nous rendions à Paimpol, murmure Jarod en me tirant de mes pensées. Qu’en penses-tu ?
J’en dis que j’aimerais bien. C’était prévu depuis longtemps d’ailleurs. Mais nous avions dû y renoncer avec l’apparition des bestioles magiques, car je ne voulais pas m’éloigner quand il est apparu qu’elles m’étaient attachées. Toutefois, comme il ne se passe rien avec elles depuis des lustres, peut-être pourrions-nous prendre le risque de partir quelques jours, finalement.
Car j’ai envie de retrouver mon passé, mes racines. Parce qu’avec toutes les révélations de l’année dernière, je ne sais plus qui je suis vraiment. Toutes ces questions sans réponses me perturbent de plus en plus, dernièrement et cela doit se voir sur mon visage car mon mari essaie de me rassurer.
— Tu es la femme de ma vie, la sœur bien-aimée de Sybille, la poupée de Charlie et la fée aux licornes, déclare-t-il tendrement.
Il a toujours su me réconforter avec quelques mots, sans même que j’aie besoin d’exprimer quoi que ce soit. Mais le fond du problème me titille de plus en plus. Apprendre que mes parents ne l’étaient finalement pas a été un soulagement au départ. Un couple abusif et junkie, ce n’est pas forcément ce qu’on a envie de mettre sur son arbre généalogique. Pourtant, apprendre que je suis une fée alors que je n’ai aucune idée de mon pouvoir ni de mon passé, ce n’est pas confortable non plus. Comment savoir ce que je veux pour mon avenir si je ne sais pas d’où je viens ?
Sarah, la grand-mère de Sybille, m’a adoptée officiellement avec la générosité qui la caractérisait. Et même si je me suis construite grâce à elles deux qui m’ont acceptée alors que je n’étais qu’une orpheline ballotée par le système de la Protection de l’enfance, une partie de moi est comme… incomplète.
J’ai besoin de connaître mon histoire pour pouvoir écrire mon futur. Enfin, je crois. Sybille n’arrête pas de me dire que peu importe le passé, c’est ce que je fais qui détermine ma vie, mais l’enfant en moi, battu et rejeté, est profondément blessé et perdu. Cette plaie n’a jamais cicatrisé complètement malgré l’amour que j’ai pu recevoir par la suite, et a déterminé une grande partie de mon « fort caractère », comme le qualifie ma sœur à sa façon si diplomatique. Mais quand la vie ne vous fait pas de cadeaux, on a tendance à rendre les coups reçus. Voire à les décocher en premier.
Bref, je me dis que cela ne peut pas faire de mal de chercher mes racines, n’est-ce pas ? Et Jarod le comprend parfaitement. C’est pour ça qu’il me propose d’aller dans un trou perdu au cœur de la forêt de Brocéliande, alors que pour des vacances, il rêve plutôt d’une plage paradisiaque. Je suis d’autant plus reconnaissante d’avoir auprès de moi quelqu’un qui m’aime sans avoir besoin de preuves grandiloquentes de ma part. Il faut reconnaître que les démonstrations émotionnelles ne sont vraiment pas mon fort. Même si j’y travaille et progresse un peu tous les jours.
— Hey, vous êtes enfin levés ! s’exclame Charlie. C’est pas trop tôt.
— Rhooo, ça va, il est à peine 6 h 30 du mat, réponds-je en soupirant à mon fantôme tout en informant mon mari de cette présence envahissante.
Parce que Charlie s’est lié à moi au moment de sa mort, lorsqu’il s’est sacrifié pour nous sauver du Mage maléfique qu’on a combattu. Depuis, il adore sa nouvelle vie d’esprit incorporel dégagé de toute contingence matérielle. Cela lui laisse plus de temps et de possibilités pour farfouiller sur le Net et fourrer son nez partout. De base, c’était un hacker de génie, maintenant, avec ses capacités à se déplacer partout où il veut sans être repéré, c’est un atout inégalé dans sa partie.
Mais Jarod, en tant qu’humain, est le seul à ne pas l’entendre ni le voir, et je suis obligée de faire le relais pour qu’ils puissent communiquer ensemble. Ce qui donne parfois lieu à des dialogues de folie lorsqu’ils s’embrouillent. Comme lorsque Charlie a finalement avoué avoir détourné la holding des mauvais Mages à notre profit… Mon mari étant un policier intègre, la pilule a été difficile à lui faire avaler.
— J’ai enfin dégoté les coordonnées de la dernière famille à prévenir, Bro.
Quand la magie est arrivée avec perte et fracas en bouleversant nos vies, nous avons mis à jour un complot de grande envergure dans la communauté des Mages.
Nous avons alors découvert des centaines de meurtres non élucidés. Ils concernaient des femmes « normales » pour lesquelles nous avons concocté une histoire plausible à donner au public et aux services de police concernés. L’affaire a d’ailleurs fait grand bruit l’année dernière lorsque Interpol l’a rendue publique. Pensez donc, un tueur en série versé dans le vaudou et sévissant sur des décennies, c’était du petit lait pour les médias. Il paraît même que Netflix réfléchirait à une série inspirée de l’histoire. Toutefois, nous avons aussi découvert qu’au siècle précédent, il y avait eu beaucoup d’autres meurtres, d’humains « spéciaux » qui se prétendaient chamans ou sorciers. Dans la mesure où les corps n’avaient jamais été retrouvés, personne n’avait fait le lien jusque-là. Des tas de familles étaient donc en attente de réponses sur le devenir d’un être cher depuis des années dans l’indifférence la plus complète ou l’impossibilité de trouver une quelconque piste des services d’enquêtes.
Jarod était, de base, lieutenant à la criminelle de Paris, mais il a démissionné pour traiter ces cas de disparitions particuliers afin d’apporter des éclaircissements aux familles, même si c’est à la génération suivante. Explications édulcorées et aménagées également en lien avec une secte secrète, mais qui leur permettent quand même de faire enfin leur deuil. Ne pas savoir ce qui est arrivé à un proche disparu est à mon sens la pire des tortures du fait qu’on oscille entre espoir, colère et peur.
— Merci, dit mon mari avec une émotion voilée. Sais-tu si celle-ci a cherché à savoir ?
Parce que cette histoire le remue beaucoup. Un de ces cas l’a particulièrement marqué d’ailleurs, car la petite-fille de la soi-disant sorcière a pu relater l’histoire à sa mère juste avant qu’elle ne rende son dernier soupir. Celle-ci est donc partie avec un doux sourire sur les lèvres et des larmes au coin des yeux. Toute sa vie, elle s’était culpabilisée de la disparition de sa mère en se persuadant que c’était sa faute si celle-ci l’avait abandonnée. Savoir que ce n’était pas le cas lui a apporté la paix, sans parler de sa fille dont la vie avait aussi été colorée par ce poids familial.
Dans la mesure où ces cas spécifiques touchent le milieu très fermé et plus ou moins underground ésotérique, Jarod se présente en tant que détective privé, même « s’il sent le flic à trois kilomètres », comme le lui reproche Dick. Ceci dit, vu que c’est le fantôme d’un gangster des années 50 de Chicago, on peut comprendre sa position vis-à-vis des forces de l’ordre… Et il s’entend comme cul et chemise avec le mien, Charlie, que j’adore, donc je suis obligée de le tolérer plus ou moins – et ne cherche pas à l’atomiser plus d’une fois par semaine.
— Oui, celle-ci n’a jamais arrêté les recherches, réponds-je de la part de Charlie. Il ne reste que la mère dans le Kentucky, mais elle offre tous les ans, à la date anniversaire de la disparition de sa fille, une récompense de cinq mille dollars à quiconque lui apportera un élément susceptible de la retrouver. Sachant que cela date de 1988 à Atlanta.
— Je partirai donc demain, soupire mon mari. Je suis soulagé que ce soit la dernière fois car c’est vraiment dur d’annoncer la nouvelle aux familles. D’un côté, ils sont avides d’avoir enfin une confirmation de ce qu’il est advenu de leur proche, et de l’autre…
— Tu leur permets de tourner la page, lui dis-je doucement en le prenant à mon tour dans mes bras. C’est un premier pas vers la guérison de leur blessure. C’est important. Je suis très fière de ce que tu fais.
— Et le jet est prêt. Il t’attendra demain matin à 7 h à l’aérodrome privé, ajoute Charlie tout guilleret tandis que Jarod se crispe lorsque je le lui rapporte.
Effectivement, cet avion privé est un sujet plus ou moins sensible. On l’a acheté avec l’argent sale de Merlin & Cie, la holding des Mages détournée par Charlie à notre profit, et Jarod a du mal à apprécier cet « abus de bien social », comme il le qualifie.
Toutefois, il faut reconnaître que c’est bien pratique, ce dont il convient à contrecœur. C’est également sa droiture que j’aime chez lui, car il nous équilibre d’un point de vue de la morale. Il faut dire que pour Charlie et moi, les règles peuvent facilement être contournées sans que cela nous empêche de dormir.
Malgré le conflit intérieur de mon mari sur nos moyens de locomotion, je reprends à l’intention de Charlie.
— Pourrais-tu aussi prévoir un voyage en fin de semaine prochaine ? Pour Paimpol ?
— Ah, il t’a convaincue alors ? Super, je m’en occupe aussi, poupée. Et j’ai hâte. J’ai déniché tout ce que j’ai pu sur les légendes arthuriennes, et je suis sûr qu’il y a un trésor caché dans la forêt de Brocéliande !
Et c’est reparti. Parce que le grand dada de Charlie, c’est la chasse au trésor. Depuis qu’on a mis la main sur celui du pirate Jean Lafitte l’année dernière, il recherche avec passion tous ceux qui sont mentionnés et qui n’ont pas encore été localisés. En plus, Dick le seconde avec enthousiasme et ils ont déjà réussi à retrouver un galion espagnol coulé pendant les premières explorations du continent, et dont le contenu a rapporté une petite fortune à notre fondation.
Oui, parce que tout le produit des ventes illégales que Charlie organise sur le darknet va alimenter la fondation que l’on a créée pour accueillir les Mages rejetés par leur communauté. Sans pouvoirs, ils auraient dû être exécutés mais depuis notre intervention, ma sœur et Dimitri ont changé la donne.
On a d’ailleurs rénové et transformé le domaine à cet effet. À ce jour, nous avons dix-huit petits pensionnaires de sept à huit ans, ainsi qu’une douzaine de mères, réfugiés chez nous pour apprendre à vivre dans le monde humain. Ma sœur, Sybille, a entrepris de les initier à la création de philtres à base de plantes qu’on vend en ligne dans le monde entier par le biais de la boutique ésotérique qu’on a relancée. Une façon pour nous d’honorer la mémoire de Sarah, notre grand-mère qui est morte à cause des Mages, en redonnant vie à « l’Oracle de la Pythie » dans un but positif.
Ça marche du feu de Dieu d’ailleurs, car nous avions beaucoup de fidèles qui nous en réclamaient à cor et à cri depuis que la boutique avait explosé à Paris. Depuis quatre mois maintenant que nous avons relancé le site 2.0, nous avons même atteint les cent cinquante mille followers sur les réseaux sociaux de notre boutique. Sybille fait régulièrement des tirages en ligne de cartes pour des guidances privées, et son carnet de rendez-vous est plein d’un mois sur l’autre en quelques minutes. Son mari, Dimitri, lui, fait des recherches avec le Mage Archiviste de chaque continent pour développer des sorts que les petits pourraient mettre en œuvre, même si leur aura n’est pas éveillée.
Car les plantes aussi ont des pouvoirs ! Notamment les magnolias de la propriété qu’on cultive avec un soin tout particulier. Il faut dire qu’ils ont reçu l’énergie de mes ancêtres fées et que cela doit certainement jouer. Toujours est-il que nous nous sommes aperçus qu’avec certaines potions, les enfants étaient capables de lancer quelques sorts mineurs. Cela les aide beaucoup psychologiquement pour accepter leur différence.
Parce qu’être rejeté quand on ne rentre pas dans le moule convenu est particulièrement douloureux pour ces gosses. J’en sais quelque chose, car j’ai moi-même eu l’impression d’être à part toute ma vie. Autant je l’assume maintenant, autant j’aurais tout donné pour être comme les autres quand j’étais plus jeune.
D’ailleurs, cela me fait penser qu’il va falloir aller cueillir des fleurs pour renouveler le stock de philtres énergétiques. Nous devons très prochainement honorer une grosse commande d’un groupe au Mexique qui en a besoin pour une retraite spirituelle. Comme Charlie peut agir sur la Nature grâce à l’essence de l’ancien fantôme Jean, je l’embarque avec moi non sans un dernier câlin à mon mari. Pourquoi m’embêter à couper les fleurs quand il peut juste le faire pour moi ?

[1] Il s’y dresse le fort de Knockgraffon Motte, réputé pour être non seulement le lieu de couronnement de différents rois, mais aussi le lieu de rassemblement des fées.
[2] Inspiré du nom de la reine guerrière celte, de la tribu Iceni.
[3] Sister & Best Friend Forever : sœur et meilleure amie pour toujours.

Retour au blog