Le Code Thanatos

Le Code Thanatos

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 Prologue

 Il y a des milliers d’années, les humains vénéraient les dieux et par leur foi, les alimentaient dans leurs pouvoirs qui les plaçaient au-dessus des simples mortels.
Thanatos, dieu de la mort, est furieux contre un de ses généraux qui n’a pas rapporté son quota de trépassés. Car cela lui aurait permis de renverser Hadès pour devenir Roi des Enfers plutôt que de rester son lieutenant assigné au Tartare, antichambre des condamnés.
Le général fut donc châtié, ainsi que sa légion, à vivre sur Terre pendant mille ans parmi les humains afin de collecter l’essence des morts sans attendre que ceux-ci traversent le Styx.
C’est ainsi que les Charons sont devenus les émissaires de Thanatos en parcourant le monde terrestre à la recherche des mourants afin de recueillir leur énergie pour leur maître.
Leur dieu, dans sa colère, leur a donné forme humaine et ce n’est que grâce à son pouvoir que les Charons peuvent survivre, les obligeant ainsi à remplir leur office macabre sans relâche.
Dans la mesure où Thanatos avait besoin qu’ils soient le plus efficaces possible, il leur attribua des capacités exceptionnelles. Non seulement ils avaient la jeunesse éternelle à partir de vingt-quatre ans terrestres et pouvaient communiquer entre eux par télépathie, mais ils reçurent aussi la faculté de régénérer leurs blessures, de développer une force surhumaine et de lire dans la pensée des mortels dont ils surpassaient grandement la longévité.
Pendant des siècles, les Charons ont œuvré pour leur Maître sans rechigner, en attendant la fin de leur punition pour enfin avoir le droit de rentrer au Tartare.
Mais les humains se sont tournés vers une nouvelle foi, laissant péricliter les différents panthéons : les dieux affaiblis sont tombés dans le sommeil de l’oubli, ne maintenant plus ouvert le portail avec la Terre et abandonnant en conséquence tous leurs prêtres, serviteurs et émissaires à eux-mêmes.
Sans le pouvoir des divinités qu’ils servaient, ces «relais» humains périclitèrent à leur tour pour disparaître complètement sous l’avènement des nouvelles religions.
Les Charons n’échappèrent pas à ce destin funeste et commencèrent à mourir comme les humains tandis que leur source de pouvoir déclinait.
Cependant, l’énergie de leur mort était absorbée par ceux encore vivants qui prolongeaient ainsi leur existence sur Terre, puisque le portail avec Thanatos n’était plus actif et que le monde des Dieux qu’ils avaient connu n’existait plus.

 Chapitre 3

De nos jours – Paris.

Max

Comment faire pour vivre en harmonie avec les siens quand on est un émissaire de mort que tuer rend malade ? La réponse est qu’on ne peut pas… On se retrouve renié par les siens pour qui ne pas assassiner est une hérésie autant que le fait d’ôter la vie d’un être normalement bien portant l’est pour moi, sans parler des effets secondaires malheureux dont je souffre quand je tue.
Je suis une erreur aux yeux des miens. Car selon le Code Thanatos, les Charons doivent collecter l’énergie de mort s’ils ne veulent pas eux-mêmes perdre leur pouvoir et leur vie. Autant dire que le meurtre est donc devenu tout naturellement notre mode de vie au fil du temps, car évidemment, plus la mort est violente, plus l’énergie absorbée est grande.
Ce qui explique que moi qui suis malade rien qu’à l’idée d’ôter une vie avant son heure, je n’ai quasiment pas de pouvoir… Cela fait désormais deux ans que je me fais passer pour une humaine depuis que j’ai été condamnée le jour de mes seize ans par les miens : chaque Charon doit ce jour-là, accomplir son rite de passage en tuant un mortel désigné à cet effet. Je n’ai pas pu éliminer la cible désignée par le Régent et en ai vomi de répulsion sur son bureau au moment où il me tendait le dossier de ma victime !
Dans mon cas, j’aurais dû être exécutée après avoir donné naissance à un enfant pour mon manquement. Car quiconque ne respecte pas le Code Thanatos n’est pas autorisé à vivre, sauf le temps de remplir son obligation de procréation si c’est une femme.
Mais j’ai réussi à m’enfuir lorsqu’un incendie dans la grange a mobilisé l’ensemble des Charons. Profitant de leur distraction et de l’arrivée des pompiers de la commune voisine qui ont bien sûr été renvoyés illico, je me suis glissée à l’insu de tous dans leur camion et ai ainsi pu quitter le domaine avant que quiconque ne remarque mon absence. J’ai ensuite pris un train pour Paris où je me suis terrée dans les bouges les plus immondes le temps de mettre un plan de survie sur pied.
Heureusement pour moi, sans puissance ne veut pas dire sans ressources dans le monde humain, et j’ai réussi à m’y faire une place. Je me suis finalement installée à côté de l’Hôtel Dieu, l’hôpital historique de la cité : étant toute proche, je peux absorber leur énergie quand tous les malades et blessés rendent leur dernier soupir. Vu qu’il y en a régulièrement, cela m’alimente tout juste assez pour capitaliser sur ma faible capacité.
Car si je me concentre suffisamment, j’arrive ainsi à lire les pensées des humains, ce qui m’a bien aidée pour mon immersion dans leur société. Je me suis créé une couverture administrative via des malfrats identifiés en scannant leurs esprits et ai également réussi à décrocher un job d’entretien de nuit à la morgue. Assise à côté du chef de service dans un café, j’avais lu dans son esprit qu’il était désespérément en demande d’assistant. Mais vu que personne ne voulait de ce poste, cela faisait des mois qu’il assumait la charge de travail seul. J’avais donc saisi ma chance et avais finalement réussi à le convaincre de me prendre à l’essai, ce qu’il n’a jamais regretté depuis.
À défaut d’être une tueuse à gages implacable comme le veut notre Code Thanatos, je suis à la place devenue un « ange de la mort » comme disent les humains, en accompagnant les personnes qui appellent leur délivrance dans leur lit d’hôpital. Il faut quand même avouer que le service des soins palliatifs n’est ni plus ni moins qu’un mouroir camouflé…
J’y ai trouvé un équilibre en aidant ces gens dans leur trépas car j’ai enfin le sentiment d’être utile, et non pas un parasite s’abreuvant de l’essence des autres. C’est gratifiant d’avoir trouvé un moyen détourné d’être en accord avec ma nature profonde de Charon et ma personnalité qui respecte la vie. Dans la mesure où c’est l’action humaine qui prolonge à tout prix l’heure du décès, je ne fais que rééquilibrer le cycle de vie contré par la science humaine. Parce que parfois l’acharnement thérapeutique s’apparente à de la torture. Sans parler de leur méthode pour les malades en fin de vie. Ils arrêtent tout simplement de les alimenter et ces derniers finissent de dépérir en mourant de faim ! Je les aide à accélérer le processus pour qu’ils souffrent moins longtemps, et gros avantage, c’est le seul acte de mort qui ne me rend pas malade…
Bref, ce système qui me permet de survivre est une découverte plaisante, ma seule consolation à vrai dire dans mon exil par ailleurs très solitaire. J’ai bien quelques relations conviviales avec des commerçants du quartier, mais avec le temps, ma capacité à lire les pensées des humains qui m’entourent s’est beaucoup développée. Au point d’en devenir handicapant pour moi.
J’ai donc besoin de calme après ma nuit de travail pour ne pas devenir cinglée. Parce que les gens pensent tout le temps et c’est épuisant d’avoir autant de monde « dans sa tête » ! Cela me demande un effort permanent pour ne pas me laisser submerger lorsque j’ai absorbé de l’énergie, aussi infime soit-elle. Sans doute parce qu’au départ j’avais tellement besoin d’apprendre d’eux que mon pouvoir s’est focalisé sur ce point. À en devenir un réflexe automatique que je n’arrive plus à contrôler.
Ma seule compagnie est Choupi, mon petit chat Bombay que j’avais adopté à l’insu des miens quand j’avais douze ans. Il est tout noir, et selon les croyances humaines, maléfique. Mais tout comme moi, sa nature, malgré les clichés, est aimante et empathique.
Nous nous sommes connectés de suite, car chez les Charons, ce sont les chiens qui ont la côte. Plus ils sont féroces et mieux c’est. Autant dire qu’un petit chaton joueur est plus un petit déjeuner qu’un compagnon pour ce qui tient lieu d’animal acceptable au château.
Cette nuit est relativement calme car le lundi soir il y a généralement moins de corps qui arrivent à la morgue. Je nettoie donc tranquillement les différents instruments de la veille (merci boss…) quand les portes s’ouvrent soudainement avec grand bruit.
— Bonsoir Max, me salue l’ambulancier. Un client pour vous. Il est « tout frais » de là-haut, ajoute-t-il d’un ton goguenard avant de tourner les talons rapidement.
Là-haut étant le service des urgences car la morgue est au sous-sol de l’hôpital. Je signe les papiers pour la réception du corps et me dirige vers l’ordinateur afin de remplir le dossier. Avec le temps, Ralph, le chef de la morgue, m’a prise sous son aile et me délègue une partie de son travail à l’insu de la direction de l’établissement. Cela lui permet de profiter de ses soirées poker et moi, cela me garantit la possibilité d’être tranquille ces jours-là car Ralph est vraiment une pipelette sans nom.
Euh… le décès a eu lieu il y a quatorze minutes ? Pourtant, je ne sens aucune énergie de mort là… Ce qui n’est absolument pas normal…
Mal à l’aise, je m’approche du brancard pour soulever le drap qui recouvre le cadavre quand celui-ci se met à bouger tout seul !
Par les Enfers, ils ont commis une méga erreur aux urgences !
Précipitamment, je retire le drap et croise un regard aussi dur que la pierre. L’homme a les yeux vairons bleu et vert qui lui donnent un aspect terriblement intense et perturbant à la fois !
Mais ce n’est pas son regard qui me fige sur place, c’est sa blessure ! Une longue entaille le parcourt de l’épaule gauche à la hanche droite, comme si quelqu’un avait voulu le trancher en deux ! Seulement, la plaie se réduit littéralement sous mes yeux, petit à petit, en faisant sauter les quelques agrafes posées sans doute par les urgentistes avant qu’ils ne lâchent l’affaire.
Paniquée en réalisant qu’il ne peut être qu’un Charon pour guérir de ses blessures ainsi, je manque de m’affaler au sol en reculant précipitamment.
— Je… je vais appeler un médecin, dis-je en déglutissant et jouant l’humaine terrorisée à la perfection.
— Ce ne sera pas la peine, répond-il d’une voix sourde. Je n’en ai pas besoin.
Sa main m’a saisi avec la vitesse d’un cobra et me retient fermement, m’empêchant de fuir. Définitivement un Charon si j’avais eu le moindre doute !
Mais comment a-t-il atterri dans une morgue humaine ?!
Et son regard ne me dit rien qui vaille…
Déterminée à sauver ma peau, je me concentre sur ses pensées pour essayer de me sortir de cette situation cauchemardesque. Il est bien plus difficile de lire l’esprit d’un Charon, sans compter que cela demande beaucoup plus d’énergie mais j’arrive à capter quelque chose tant cela le préoccupe…
«Il faut que j’arrive à prévenir le Régent. Mais dans mon état, je ne vais pas aller bien loin ni réussir à semer les traqueurs de l’Hydre! C’est trop tard, tout est perdu!»
Je capte sa colère et sa frustration de ne pouvoir sauver ses frères qui vont être capturés par « l’opération de l’Hydre » ? Ayant fait tout mon possible pour passer sous les radars, je me suis bien gardée d’essayer d’obtenir des informations sur l’activité des Charons…
Mais vu la situation que je comprends, et l’urgence que je ressens chez cet homme, je ne peux m’empêcher de penser à ma propre famille : ce n’est pas parce qu’ils m’ont rejetée que de mon côté, j’ai cessé de les aimer. Sinon je ne souffrirais pas autant de leur manque !
— Voulez-vous que j’appelle quelqu’un pour vous ? Afin qu’on vienne vous chercher ? dis-je d’une toute petite voix pour continuer de coller à mon rôle d’humaine traumatisée.
Par culture, les Charons n’ont pas le réflexe d’utiliser les outils humains car ils s’appuient sur leur pouvoir de communiquer entre eux par télépathie et lire dans les pensées des autres. Quel besoin de technologie dans ce cas-là, n’est-ce pas ? De plus, le sentiment de supériorité séculaire des Charons ne les pousse pas vraiment à s’intéresser à la société humaine…
Mais ce n’est absolument pas mon cas, au contraire ! Je suis fascinée par ce monde « connecté » et depuis deux ans, je suis même devenue une geekette comme on surnomme ces profils passionnés. C’est sûr que c’est plus simple d’apprendre quand vous pouvez lire l’esprit des gens plutôt que de chercher des réponses à des questions que vous ne vous seriez même pas posées…
Et parmi les malfrats qui m’ont aidée à créer ma fausse identité, l’un d’eux en particulier était doué en technologie. Enfin, quand il n’était pas défoncé par les substances qu’il absorbait régulièrement… Mais j’ai beaucoup appris avec lui et ai toujours continué à me former seule par la suite.
Même si je n’ai pas l’intention de me révéler, peut-être qu’un appel pourrait être un compromis acceptable s’il faut prévenir le Régent ? Bien qu’ils ne l’utilisent que rarement et toujours à contrecœur car c’est uniquement pour échanger avec des humains si besoin, le domaine possède une ligne téléphonique…
Il me dévisage interloqué tandis que l’idée fait son chemin dans sa tête et qu’il se fustige de ne pas y avoir pensé lui-même. Hé oui, les Charons sont tellement imbus de leur pouvoir qu’ils ne font pas réellement attention au monde dans lequel ils évoluent…
C’est vrai que normalement ils peuvent communiquer entre eux à grande distance, mais comme tout, cela demande de l’énergie et vu son état…
— Passez-moi votre appareil, m’ordonne-t-il d’un ton pressant.
Mais il se retrouve tout bête face à l’écran de mon smartphone. Évidemment, encore un qui a travaillé les techniques de mise à mort à fond et a totalement zappé les cours d’immersion humaine, pfff…
Venant à son aide, je compose le numéro qu’il me dicte et lui passe le téléphone que j’ai mis sur haut-parleur « par inadvertance »…
— L’Hydre vient vers vous de façon imminente ! dit-il précipitamment à son interlocuteur dès que celui-ci décroche sans même lui laisser le temps de dire quoi que ce soit. Il faut vous préparer et surtout protéger les enfants qui sont la cible ultime de cet ennemi !
— C’est prévenant de ta part, répond une voix mielleuse bien que déformée, mais c’est trop tard… J’ai déjà pris le château et comme je suppose que tu dois être le petit incident rapporté par mes agents, ne t’inquiète pas, nous allons nous occuper de toi très bientôt. Je suis sûr que tu as hâte de retrouver les tiens… et j’aime les réunions de famille !
L’interlocuteur a éclaté d’un rire sinistre avant de raccrocher. La tonalité est désormais le seul bruit perceptible dans le silence pesant de la morgue… car nous sommes sous le choc de cette conversation.
Ils ont pris le château ! Comment est-ce possible ? Qui est cet ennemi qui a déclaré la guerre aux Charons ?! Pourquoi s’en prendre aux enfants ?
Autant de questions qui tourbillonnent dans ma tête et m’empêchent de me concentrer pour écouter celles de l’homme qui a pâli en face de moi.
— J’ai besoin de me régénérer, me dit-il en se reprenant. Et vous allez m’aider !
Paniquée, je recule précipitamment. Il va me tuer ! Pour récupérer son pouvoir, il a besoin d’énergie de mort !
Parce que mon cerveau s’est enfin reconnecté et a finalement fait le lien : c’est le Cerbère !
À chaque génération de Charons, un membre d’élite est désigné pour être le gardien de la communauté.
Je me souviens maintenant de celui qui avait été choisi il y a six ans : il avait les cheveux noirs comme la nuit… et les yeux vairons ! 

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