La survivante des ténèbres - Darl Séoul Mafia cycle 2 Renaissance T2

La survivante des ténèbres - Darl Séoul Mafia cycle 2 Renaissance T2

Prologue

Marina Belinski

Dix-sept ans auparavant

C’est un cauchemar! Pitié, je dois me réveiller! Mais, je ne dors pas… je subis les horreurs les plus indicibles sans pouvoir lutter. Suis-je encore vivante, finalement? Oui, je ne souffrirais pas autant, sinon. Ces hommes – non, ces monstres – me sont tombés dessus alors que je rentrais de l’école. Mon chauffeur a été tué sous mes yeux horrifiés et j’ai été embarquée avant même d’avoir compris vraiment ce qu’il m’arrivait, tant j’étais tétanisée de terreur. Et puis, j’ai atterri dans cette cave. Mon ravisseur avait raison : elle est sordide, toutefois ce qu’il s’y déroule est bien pire…

— Tu es un dommage collatéral, c’est tant pis pour toi, mais c’est la vie. Parfois, elle est injuste et n’en a rien à foutre de l’innocence. Donc, aujourd’hui, c’est toi qui vas payer. Crois-moi, la facture va être salée parce qu’Igor Strogonoff dirige son réseau d’une main de fer. Je ne te donne pas un mois pour crever, pauvre petite fille à papa. Tu dois disparaître, mais avant de te tuer, je vais en profiter pour ramasser un paquet de fric au passage. Et rendre service à la Bratva. Je ne te souhaite donc pas grand-chose, vu que ton avenir est plus que limité…

J’entends la voix derrière mon épaule, mais ne vois rien. Je ne comprends rien. Qui est-il? Que veut-il? Payer? Pour quoi? Ma famille est riche, est-ce que j’ai été kidnappée pour une rançon? Apparemment, non. Pourtant, c’est bien la seule crainte dont j’ai conscience : c’est pour cela que je ne peux jamais rentrer à pied de l’école avec mes amies et que Vitaly me sert à la fois de chauffeur et de garde du corps. Mon père est un homme puissant dans son milieu et j’ai été «formatée» depuis le plus jeune âge à suivre un protocole de sécurité très strict – qui, malheureusement, ne s’est pas révélé infaillible au vu de la situation dans laquelle je me retrouve…

— Mes parents ont de l’argent! Ils… ils feront tout ce que vous voudrez pour me récupérer! supplié-je dans le vide, incapable de bouger.

— Ce n’est pas l’argent qui te sauvera aujourd’hui, malheureusement. La leçon doit être apprise et tu es l’exemple qui va faire rentrer les récalcitrants dans les rangs. Et puis, à treize ans, tu es au bon âge…

Je suis attachée sur une chaise et ne comprends rien. Avant de claquer une porte, l’homme ordonne d’une voix sèche que je sois transférée immédiatement. Je ne sais même pas où je suis : la pièce est dans la pénombre, vide hormis cet homme qui se tient en retrait. A-t-on roulé longtemps? Suis-je encore à Moscou? Je ne saurais le dire, ayant perdu la notion du temps et surtout concentrée à essayer de respirer avec cette cagoule sur la tête.

 Maintenant, je ne suis plus seule, mais la fille partageant ma cellule a été… vendue?! Par sa propre mère! Jamais mes parents n’auraient fait ça! Je suis certaine qu’ils remuent ciel et terre pour me retrouver.

Pitié, faites que ce soit avant que je ne meure!

Quatorze ans auparavant

Je ne sortirai pas de cet enfer, je le sais depuis un moment maintenant. À quoi bon lutter? Alina est la seule chose me permettant de ne pas me laisser mourir : elle a une telle hargne en elle, elle se bat tant quotidiennement – ne lâchant rien malgré les sévices – que je me sens parfois minable de vouloir que cela s’arrête en rendant l’âme. Nous nous soutenons comme nous le pouvons, avec le peu de moyens autorisés. Cette semaine, elle m’a donné sa couverture dans l’espoir que ma toux passe. Mais j’ai peur d’avoir une bronchite carabinée, voire une pneumonie. L’air humide et glacial de la cave n’est pas propice à la guérison alors que je suis épuisée par une «session» particulièrement violente avec mon dernier client. Cette brute malsaine m’a obligée à rester nue sur la terrasse de sa suite alors qu’on est en plein hiver : son truc à lui, c’est de baiser des corps glacés. Il a essayé les cadavres, mais il aime «jouer» et avoir du répondant venant de «sa partenaire», ce qu’une morte peut difficilement faire. Il a donc trouvé ce moyen tordu de combiner ses envies. Peu importe que je chope la crève du moment qu’il peut «m’enfiler comme il veut». Respirer est pénible et tousser très douloureux. Alina est inquiète et sursaute à chaque fois que je suis prise d’une quinte. J’essaie de ne pas trop l’alarmer en me retenant le plus possible, mais c’est mal embarqué pour moi : la fièvre commence à monter alors que, paradoxalement, je suis frigorifiée.

Tout à coup, la porte s’ouvre et LE monstre entre, tel le souverain de ce royaume souterrain infernal.

— Marina, un client a très envie de faire ta connaissance, bouge ton cul!

Si je n’obéis pas, je serai punie de la plus dure des façons : Igor me donnerait à son client sur un brancard si ce dernier payait pour ça… Péniblement, je me relève alors que je suis roulée en boule sur les dalles de pierre, cherchant le peu de souffle qu’il me reste pour ne pas m’évanouir sous l’effort. Alina tente de faire diversion, de se proposer à ma place, mais c’est peine perdue. Nous sommes des «putes avec chacune nos spécificités», selon notre tortionnaire qui nous vend au plus offrant sur des critères bien spéciaux. Par exemple, à mon arrivée, j’étais estampillée «vierge» et j’ai dû apprendre à jouer la comédie pour complaire aux hommes afin de leur en «donner pour leur argent». Les représailles en cas d’échec étaient trop horribles pour que je n’essaie pas. Et puis, je n’avais vraiment pas à me forcer pour paraître terrifiée par ces hommes pervers cherchant à se repaître d’innocence. C’est Igor qui a pris la mienne – arraché plutôt parce qu’il «goûte à toute sa marchandise» –, mais il m’a ménagée en quelque sorte afin d’exploiter ce filon particulièrement juteux pendant six mois. Cela m’a permis de ne pas être abusée aussi souvent qu’Alina afin de permettre à mes chairs martyrisées de «se resserrer comme il faut pour berner les pigeons». Puis, je suis devenue «trop connue» sur le marché pour que la supercherie tienne plus longtemps et j’ai rejoint «l’équipe de sacs à foutre». Qui m’a demandée cette fois-ci? Alina est encore plus amochée que moi, mais elle essaie tout de même de se lever.

— Je reviens bientôt, lui soufflé-je pour la calmer.

Je ne tente pas de la rassurer, car nous savons toutes les deux à quoi nous en tenir.

— C’est un client spécial, ricane Igor en me traînant à moitié vu que je tiens difficilement sur mes jambes.

Spécial? Pour qu’il me prévienne en amont, c’est que ce n’est vraiment pas bon signe! C’est donc terrorisée intérieurement que je monte dans la voiture devant m’emmener à «l’abattoir». C’est l’image qu’on a retenue avec Alina pour parler de ces temps de trajets. Cette fois-ci, malheureusement, le sens est littéral… Alors que le couteau me découpe les chairs, je pense à Alina.

— Pardonne-moi de t’abandonner, ma sœur…

Mon esprit s’éteint en se noyant dans la mare de sang causée par ce client spécial.

Tae-Yang Park

Huit ans auparavant

J’observe le chef du clan Jung d’un air détaché. Je suis un anonyme dans les rangs de la Jopok, ce qui me permet de surveiller sans être remarqué. Cet homme est un dictateur impitoyable et sadique. Sous son impulsion, les activités de notre mafia se sont diversifiées dans des domaines que notre code d’honneur historique aurait dû nous empêcher de toucher. Mais «l’oncle» n’est pas un homme honorable, loin de là. Il n’a pas hésité à assassiner son propre frère afin d’accaparer le pouvoir et exploite son neveu pour lui faire faire le sale boulot. Après avoir voué ma vie à l’armée, me retrouver comme homme de main de la mafia a un goût amer : je me suis sorti du gang de quartiers qui m’avait embrigadé à l’adolescence pour revenir plus d’une décennie plus tard, quasiment à mon point de départ…

Toutefois, je préfère mener cette vie de paria de la société plutôt que de continuer dans un système qui m’a trahi. Pire, qui m’a volé mon âme. Tuer n’a jamais été un problème pour moi, habitué que j’étais à la violence de la rue. Cependant, même dans la rue, il y a des règles. Et le service spécial où je suis devenu un expert dans mon domaine les a toutes brisées les unes après les autres. Après une énième horreur, l’argument de «l’intérêt général» n’avait plus de sens. Si tant est qu’on puisse justifier d’accepter de devenir le mal pour se battre contre un autre soi-disant plus grand.

Ici, au moins, les lignes sont grises, mais elles existent : je sais à quoi m’en tenir. Et puis, dans ce monde, il n’y a pas vraiment d’innocents : chacun est conscient de la violence et de la mort qui peut vous emporter n’importe quand à n’importe quel coin de rue. Ce soir, nous «fêtons» le succès de Sung-Min et de son ombre, Ren Suzuki. Le premier est un assassin de haut vol, mais j’ai remarqué qu’il a tendance à protéger son acolyte. Ce dernier – un bâtard japonais donné par les Yakuzas en gage – semble plus analytique : en étudiant leurs interactions subtiles, je décrypte que si l’un agit et exécute parfaitement l’opération, c’est parce que le second a pensé et organisé l’action en amont. Un binôme bien plus dangereux qu’il n’y paraît pour qui sait lire les signes. Il sera intéressant de les étudier dans les années à venir pour voir comment ils vont embrasser leur destin : je me demande si «l’oncle» a conscience qu’il est la cible d’un tueur de l’ombre…

Six ans auparavant

— Pourquoi me faites-vous confiance?

La question mérite d’être clairement posée. Car si ce que je pressens s’avère réel, cela veut dire que j’ai sous-estimé l’intelligence de cet homme. Il a à peine vingt-deux ans, mais un esprit acéré démontrant un potentiel sur lequel nul n’aurait parié. Il préfère la stratégie à la force brute, ce qui en fait une exception dans cet univers où la violence règne en maître. Il est donc considéré comme quantité négligeable. Cela lui donne l’avantage de surprendre son monde quand il décide de passer vraiment à l’action…

— Je vous ai observé, répond-il impassible alors qu’il a pris un risque en m’approchant pour me demander de lui rendre ce service.

— Et?

— D’abord, vous n’êtes pas issu du clan, donc «l’oncle» n’a pas de prise directe sur vous puisque vous n’avez pas d’historique ou de famille qu’il pourrait utiliser contre vous. Ensuite, avec votre formation… particulière à l’armée, vous avez une discipline et des compétences dont les autres manquent souvent. Enfin, vous avez un code d’honneur qui vous est propre, mais, depuis deux ans, vous n’en avez pas dévié une seule fois…

Alors, il m’avait vraiment à l’œil et son retour froid, factuel a quelque chose de rassurant. C’est une décision rationnelle qui l’a poussé à tenter de me rallier à lui. Pas d’émotion mal maîtrisée ni un coup de tête sur une opportunité impromptue.

— Quelles vont être les conséquences? Et les compensations?

Même si je serais enclin à accéder à sa demande, je ne peux pas risquer ma vie pour rien.

— Je ne vous demande pas grand-chose, juste de subtiliser une dose de la drogue administrée à Soo-Jin. Je vais en avoir besoin pour tenter de comprendre comment l’aider à se sevrer le moment venu. Afin qu’il n’y ait pas de retombées directes, voici un substitut. Ainsi, personne ne pourra vous impliquer directement. Lorsque les médecins s’apercevront que le liquide n’est que du sérum physiologique, ils ne pourront pas faire de lien avec vous et incrimineront plutôt leur fournisseur d’avoir commis une erreur grossière dans la dernière livraison.

Observant la poche de perfusion qu’il me tend, je ne peux qu’admirer le génie de son plan : le laboratoire de produits chimiques a également une couverture officielle et est un des plus gros fabricants de matériel pour les hôpitaux. Simple. Pratique. Efficace.

— Par ailleurs, je ne vous mets pas dans la catégorie des mercenaires, donc je ne vous ferai pas l’insulte de vous proposer de l’argent, enchaîne-t-il en me regardant droit dans les yeux. En revanche, il viendra un temps où votre loyauté sera récompensée à sa juste valeur si vous décidez de me l’accorder.

Les mots sont choisis avec soin et font mouche : cela doit être ma décision, mon choix. Pas par appât d’un gain quelconque ou sous le coup d’une menace. Non, cet homme – pourtant jeune et bien plus haut placé dans la hiérarchie que moi – me traite d’égal à égal.

— Comment avez-vous eu connaissance de mes… spécificités?

Je veux le tester, car si j’accède à sa demande, je sais qu’il y en aura d’autres : une fois l’engrenage enclenché, rien ne pourra l’arrêter si ce n’est une balle dans la tête. Va-t-il se dévoiler ou garder ses cachotteries?

— J’ai payé une stagiaire aux archives du ministère des armées pour me procurer votre dossier classifié, accepte-t-il de me répondre après m’avoir évalué encore pendant une bonne minute en silence. Je n’ai pas donné votre nom spécifiquement, mais je l’ai guidée pour qu’elle copie tout le répertoire des anciens soldats révoqués sur la dernière décennie.

C’est pour ça que mon contact ne m’a pas prévenu d’une fuite possible : il a dû se dire que je n’étais pas vraiment ciblé. C’est bien joué. Et ça me conforte dans le potentiel stratégique de cet homme.

— D’accord, je vais le faire, décidé-je en lui faisant part de mon choix.

À ma grande surprise, il s’incline en me tendant la pochette médicale à deux mains dans la plus pure tradition japonaise : offrir quelque chose de cette manière est une façon codifiée de clamer qu’il n’y a pas d’intentions cachées, en plus d’une marque de respect. Le second du futur chef de clan me manifeste une déférence dont aucun des sous-fifres dont je dépends n’a fait montre à mon égard jusqu’ici.

Je le regarde s’éloigner et se fondre dans les ombres de l’entrepôt où notre rencontre secrète s’est déroulée. Là encore, il a fait preuve d’une anticipation bien pensée : notre échange a eu lieu sous le couvert d’une inspection de marchandises. Il a passé du temps avec chaque garde en faction afin de ne pas attirer l’attention spécialement sur moi.

Le respect et l’intelligence n’ont pas d’âge. À trente-cinq ans, j’en sais quelque chose pour avoir «côtoyé» bon nombre d’hommes de pouvoir tous différents : Ren Suzuki sera une puissance avec laquelle il faudra compter dans les années à venir, je parierais ma vie dessus. D’ailleurs, je viens juste de le faire…

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